Lot n° 28
Estimation :
1500 - 2000
EUR
Result with fees
Result
: 4 571EUR
* Victor HUGO. L.A.S. « V. H. », Marine Terrace [Jersey] 8 o - Lot 28
* Victor HUGO. L.A.S. « V. H. », Marine Terrace [Jersey] 8 octobre [1853], à Édouard PLOUVIER ; 4 pages in-8 très remplies sur papier bleuté.
Très belle et longue lettre littéraire et politique. [Édouard PLOUVIER (1820-1876), ouvrier corroyeur, s’était lancé dans le journalisme, avant de devenir auteur dramatique, poète et conteur ; il avait épousé la comédienne Lucie Mabire ; Hugo répond ici à l’envoi de ses Contes pour les jours de pluie (Jules Dagneau, 1853), préfacés par George Sand, et qui s’ouvrent sur Le Sphinx, dédié à Victor Hugo.]
« Vous m’avez écrit au printemps, je vous réponds à l’automne. Cher poëte, ce triste et froid été a eu tout le temps de pleurer entre nos deux lettres. Les jours de pluie n’ont pas manqué ; il semble que vous l’ayez deviné ; prévoyant que j’aurais cette sombre traversée à faire, vous m’avez envoyé le viatique. Contes pour les jours de pluie ; je trouvais ce titre charmant, et après avoir lu quelques pages exquises, – bon ! Disais-je avec la joie du proscrit qui fait sa provision, voilà pour mon hiver. Point du tout, c’était pour mon été. Merci, poëte. Sans vous ce mai mouillé, ce juin trempé, ce juillet ruisselant, cet août grelottant eussent été bien tristes ; vous avez mêlé la poésie à la bise, le rayon aux brouillards et la rosée aux ondées. Je vous remercie de m’avoir dédié le Sphinx. C’est peut être la plus belle page de votre livre qui contient tant de belles pages. Il y a dans tous vos contes le style, la force, la grâce, l’esprit, le cœur, l’imagination ; il y a dans le Sphinx une grande portée sociale. Cet exilé volontaire qui s’en va de la vie, et qui se réfugie des hommes dans les flots, ce solitaire de l’infini m’a ému profondément. J’ai son âge, j’ai presque sa pensée ; il était le proscrit de sa volonté, je suis aussi un peu le proscrit de la mienne. Si Bonaparte a cru que c’était son décret qui me chassait, il s’est trompé ; ce qui m’a chassé, c’est son infamie. Ce qui m’a banni, c’est le spectacle de honte que je n’aurais pu supporter. Ce n’est pas M. Bonaparte qui m’a dit : Va-t-en – c’est mon âme.
J’ai lu votre lettre touchante. J’ai pensé à vous, généreux et charmant esprit, et à la noble artiste qui est votre femme ; quand je l’ai reçue, cette lettre, j’étais au bord de la mer, je rêvais, après l’avoir lue j’ai continué ma rêverie. Seulement cette rêverie qui était amère, est devenue douce. – Pourquoi est-ce que je vous réponds si tard ? Oh ! Il faudrait pour expliquer cela vous conter toutes les heures de ma vie. La proscription est une sorte de perpétuel ajournement de tout. L’exil fait l’effet d’un abîme qu’on a autour de soi, et l’on hésite à jeter une lettre par-dessus cet abîme.
Vous êtes donc là-bas quelques cœurs qui pensez à moi – merci –merci surtout de ne pas désespérer. Merci à vous tous qui gardez dans vos âmes l’idée sainte de l’avenir. Songeons que l’éclipse actuelle masque le mystérieux agrandissement de l’astre. Quand la révolution reparaîtra, la république ne sera plus la France, la république sera l’Europe. Ayons donc foi, et aimons-nous »…
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